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RFI - Tous les cinémas du monde - Spéciale Animation française

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Émission spéciale de Tous les cinémas du monde de RFI sur le long métrage Funan et l’animation française.

Funan a gagné le Cristal du meilleur film au Festival d’Annecy 2019. L’émission interview le réalisateur Denis Do @dulaishun, qui s’est inspiré de l’histoire de sa mère pour ce film.

Denis Do, Frédéric Nagorny professeur d’animation à l’École des Gobelins et Clémence Bragard de l’AFCA (Association française du cinéma d’animation), commenterons du dynamisme du secteur de l’animation en France, de la technique de production, aux artistes et aux difficultés d’exploitation.

Page de l’émission, rediffusion le 22 Juin 2019

Émission présentée par Sophie Torlotin @storlette et Elisabeth Lequeret @storlette, Réalisée par Fanny Renard.

Transcription des échanges

Sophie Torlotin: C’est le premier long-métrage d’un réalisateur français, Denis Do. À vos côtés, Denis Do, dans ce studio, Clémence Bragard, bonjour. Vous êtes programmatrice et coordinatrice du festival à l’AFCA, l’Association française du cinéma d’animation, et Frédéric Nagorny, bonjour. Vous êtes professeure d’animation aux Gobelins, une école mondialement connue et d’ailleurs vous avez eu Denis Do comme élève.

[…]

ST: Frédéric Nagorny, Denis disait tout à l’heure que les prémices de Funan, en fait, c’est à l’école des Gobelins. Du coup, j’imagine que vous avez été un des témoins privilégiés de la naissance de ce film. C’était un film de fin d’études ?_

Frédéric Nagorny: À l’origine, il y avait un petit court-métrage de fin d’études (Le Ruban, 2009) qui était assez remarquable, en fait, à l’époque. C’était un film d’équipe, évidemment, fin d’études. Et puis ils ont mélangé énormément de techniques différentes. Et je sais que, nous, à l’école, en encadrant, on était un peu sceptique sur le mélange de techniques à l’époque, mais il y a vraiment eu la 2D numérique, la 2D tradit qui a été scanée, tout ça a été mélangé. Il y avait un petit peu de 3D, il y avait beaucoup de choses variées, en fait. Et je sais qu’à l’époque, on aimait bien qu’il y ait un seul logiciel pour faire le film, pour que ça soit simple à encadrer, etc. Et en fait, ça a très très bien marché. Et une partie, d’ailleurs, de Michaël Crouzat était sur ce petit film, au départ. Il y avait Thomas Charra à l’anim, je me souviens, qui travaillait aussi en tradi, en 2D, mélange de Flash, mélange de logiciels très différents, en fait.

ST: Là, il faut expliquer peut-être à nos auditeurs qui ne connaissent pas forcément la 2D. Traditionnel, c’est, j’imagine, les dessins.

FN: C’était des dessins, mais on peut les faire, en fait. À l’époque, en tout cas, on commençait à avoir des outils très variés, aussi bien pour digitaliser les dessins, les scanner, et après les mettre en couleur en numérique. Mais on pouvait aussi travailler directement sur l’ordinateur avec des tablettes graphiques. Et je crois qu’à l’époque, on avait testé avec vous les Cintiq, les premières Cintiq. C’est-à-dire que là, on dessine directement sur l’écran, et non pas sur une tablette graphique en regardant un écran à côté là. Donc c’est très proche du dessin manuel, en fait, si on peut dire.

ST: Mais donc, vous n’avez pas, vous, Denis Do, intégré l’École des Gobelins, en vous disant “je veux réaliser en animation cette histoire”.

Denis Do: Je ne sais pas si ce genre de situation arrive, en fait. Je ne sais pas si avant de rentrer à Gobelins, on a déjà une idée de long métrage en tête ou pas. Je ne sais pas si c’est possible. Je ne sais pas si on a peut-être la maturité. Je ne crois pas que ça ne se passe pas comme ça. Je sais que ça vient après, oui, en fait. Non, moi, j’avais… Du coup, toutes ces histoires de ma mère, tout ça était d’un côté. Ce n’était pas forcément par ailleurs des choses que j’avais tendance à exposer. C’était complètement par hasard, pendant la pause qu’elle a fait avec Gabriel, que je lui ai raconté tout ça. Mais il est vrai qu’autour de 12-13 ans, moi, je me rappelle m’être dit qu’un jour, travailler sur ce sujet-là, sur cette espèce d’héritage, un jour, ce serait à l’ordre du jour. Et puis, quand on entre à Gobelins… Surtout pendant la période de fabrication du court-métrage étudiant.

DD: _Pour moi, il n’y a pas de lien artistique entre ces deux films. Je ne suis qu’un des co-réalisateurs du Ruban. Pour moi, Funan c’est vraiment quelque chose d’autre. Mais ce que j’ai appris en faisant le Ruban, ce que j’ai appris de tous mes camarades co-réalisateurs, c’est durant ces étapes de développement. Toutes ces réflexions menées de fond en comble sur l’écriture, le storyboard, etc. Je n’étais pas conditionné par les films Disney, en me disant que les films d’animation étaient pour enfants. Et en plus, le sujet qu’on traitait n’était pas dans le Ruban.

ST: C’est ça, je veux dire, c’est un sujet très fort, très dur. Pourquoi de l’animation pour le traité ? C’est pas forcément évident. C’est pour ça que je vous posais la question.

DD: C’est pas forcément évident par rapport à l’acceptation du public. En revanche, ça ne rend pas plus compliqué la fabrication. Ce qui est plus compliqué, c’est peut-être la recherche de financement, etc. Mais en termes de fabrication, c’est peut-être même plus simple en termes de reconstitution. Et on parle souvent de, par exemple dans le cadre de Funan, on me pose souvent la question pourquoi le choix de l’animation ? C’était surtout un non-choix. Quand on est dans le dessin, dans l’animation, quand on parle de faire un film, naturellement c’est en animation. Et par ailleurs, si on veut faire un film en prise de réel, quand on est de l’animation, là on précise du coup. On veut faire un film en prise de réel. Sinon un film pour nous, naturellement c’est de l’animation. Donc il n’y a pas eu ce choix, je me suis pas dit, ce sera en animation, pas en prise de réel. C’était juste, non, c’était complètement naturel. Par ailleurs, par rapport à cette question, j’aimerais bien que les journalistes posent la question à tous les gens en prise de réel, pourquoi vous faites votre film en prise de réel et pas en animation ? Parce que nous, comme on nous la pose, on doit se justifier.

ST: J’imagine que ça prend plus de temps peut-être, plus de personnes un film en animation ?

DD: Ça prend effectivement, logiquement oui, plus de temps parce que quand vous avez une caméra et que vous tournez une heure, vous avez une heure de rush, en animation vous pouvez travailler une heure, vous avez très très, vous êtes très long.

ST: _Combien de secondes ?

DD: Je sais pas, ça dépend du budget.

FN: _C’est quelques images. Ça dépend du budget, ça dépend de l’équipe. Vous voyez bien en long métrage, les rythmes, c’est environ une seconde par jour. En animation dessinée traditionnelle de haut - très haut de gammes C’est une seconde par jour avec une équipe, un assistant, un intervalliste derrière en plus de l’animateur.

ST: Donc en moyenne, on va compter… Clémence Bragard.

Clémence Bragard: À peu près sept ans on va dire, du début du développement d’un long métrage jusqu’à sa sortie. C’est une moyenne, bien entendu. Ça varie entre dix ans et un peu moins, selon effectivement, comme le disait Denis, le budget qui a réussi à être levé par le producteur.

ST: _Clémence, et vous Funan c’est vraiment quelque chose d’autre. Mais ce que j’ai appris en faisant le Ruban, c’est un film que vous avez, j’imagine, découvert au vu à Annecy, en tout cas que vous accompagnez aussi en festival.

CB: Alors oui, tout à fait. Le projet, j’en avais entendu parler il y a fort longtemps par le biais du producteur délégué, Sébastien Onomo, qui était venu présenter le projet, il me semble, en 2013 à Annecy. Et ça montre bien, je trouve, toute la patience et persévérance qu’il faut à une équipe de films pour mener à bien la production d’un long métrage d’animation. Je suis ravie de voir qu’ils ont réussi ce pari-là, que le film est sorti. Et c’est vrai que par le biais de l’AFCA, donc l’association pour laquelle je travaille, on soutient tout particulièrement ce film et les films de ce genre qui relèvent de l’animation adulte et d’auteur. Effectivement, dans le cadre du festival qu’on organise à Rennes et notamment en avril prochain, le film fera partie de notre sélection officielle.

ST: Je le disais, l’animation française est un fleuron qui s’exporte, 29 films d’animation français qui se sont exportés en 2017 qui font beaucoup d’entrées. Il y a une tradition française de l’animation. Je pense que ça remonter aussi on peut même remonter aux origines Frédéric Nagorny avec “Émile Cole”, c’est ça ?

FN: Oui, on peut parler d’Émile Cohl, effectivement, la première projection animée de cinéma d’animation, on l’en doit à un français avec du public, avec un écran, avec du son, de la musique synchro et c’est en 1892 quand même, avant la naissance du cinéma et avant les Frères Lumière.

ST: Avant les Frères Lumière. Donc il y a vraiment une tradition française ?

FN: Oui, oui, mais qui remonte, et même européenne, puisque vous avez Joseph Plateau dans les années 1830 qui avait travaillé sur les phénakisticope. En fait, l’animation au 19ème siècle était très présente en fait, on ne le sait pas, mais sous la forme de jouets optiques, il y avait des publications de phénakisticope dans les journaux, les gens découpaient ça chez eux pour voir des petits cycles d’animation. Puis le 19ème siècle, avec l’apparition du cinéma, et à ce moment-là, on peut filmer les dessins directement. On n’est plus obligé de dessiner et de projeter le dessin lui-même. On a alors une pellicule intermédiaire, et après, c’est le 20ème siècle qui démarre avec l’animation au cinéma.

ST: _Est-ce qu’il y a une école, on peut parler d’une esthétique française au même titre que l’on parle l’esthétique japonaise ou une esthétique américaine qui a été beaucoup figée et puis ça a changé, ça a bougé par Disney, évidemment.

FN: Oui, c’est intéressant comme question je ne suis pas sûr qu’on puisse parler de. Il y a une spécificité en fait européenne ou française, c’est certain. Mais cette spécificité-là c’est peut-être justement l’absence de style et au contraire de rechercher des styles très variés, très différents, parce que la culture graphique vient aussi de loin en Europe et en France en particulier et donc, effectivement on a des dessinateurs, des créateurs qui recherchent vraiment à trouver un style spécifique à la narration qu’ils vont avoir, si vous voulez. Ça c’est une caractéristique française, trouver une esthétique qui correspond bien à l’histoire. Ce sont des choses qui ne sont pas si courantes, si vous prenez les Etats-Unis, on sait qu’il y a un style américain d’animation, style de mouvement, style de design, de graphisme, de proportions. Il y a des produits dérivés derrière. Il y a toute une industrie derrière. Au Japon c’est complètement différent, mais il y a une esthétique analogue, avec les grands yeux écarquillés, l’anim spécifiquement qui vient des mangas, on voit bien, puis une anim qui s’accade un peu parce qu’il y a moins de budget donc on va mettre moins de dessins et ça va s’accader un peu. _Donc en fait ça détermine des styles très marqués, et bien nous en Europe on est un petit peu entre les deux et on cherche à faire vivre des styles graphiques différents et à trouver des mouvements qui s’adaptent au style graphique spécifique. Oui on est dans la lignée à nouveau du 19e siècle.

DD: Je crois qu’on peut parler d’Auteur,

FN: Oui

DD: _parce que c’est vraiment des spécificités liées à des personnalités artistiques.

CB: Et qui elles-mêmes, enfin j’ajouterai, sont engendrés en quelque sorte par les cursus et établissements de formation qui eux..

ST: ..valorisent ça, justement, le fait de trouver des auteurs, enfin en tout cas valorise l’individualisation ?

CB: Alors pour certaines il est clairement assumé qu’elles forment des techniciens donc elles n’ont pas vocation à former des auteurs mais pour d’autres, comme effectivement l’École des Gobelins, ou d’autres écoles, elles vont faire en sorte d’alimenter leur spécificité.

FN: Oui, en fait, même ce qu’on peut dire c’est que les écoles ont leur propre spécificité, ce qui est absolument étonnant. Les écoles comme MoPA par exemple, qui travaillent sur de l’animation 3D spécifique, mais avec quand même des bases dessinées un peu au départ solides, et qui ont des styles de films avec de l’humour, assez réalistes, qui sont très agréables. Vous avez l’EMCA Angoulème où pareil, alors là ce sont plutôt des films individuels, un peu d’auteurs, qui travaillent seuls.
_Gobelins ce sont des films d’équipe, c’est un choix d’école, d’équipe où il y a plusieurs réalisateurs, c’est ça l’idée, et les gens sont à égalité, au niveau des choix de réalisation, à part en parler, même si certains réalisateurs ont des spécificités au niveau de la conception graphique, d’autres vont peut-être plus mettre l’accent sur l’animation, d’autres sur les recherches graphiques, les décors, etc.. Mais la réalisation, elle-même, c’est vraiment un travail d’équipe.

ST: Ce que faut peut-être préciser aux auditeurs qui ne connaissent pas forcément la façon dont on fabrique l’animation, mais il y a par exemple des animateurs qui s’occupent, par exemple, spécifiquement des décors c’est très séquenté, mais on ne le sait pas forcément quand on voit un film d’animation.

FN: _Oui, alors on peut s’en rendre compte si on va jusqu’au générique de fin où on a les différents départements, en fait, qui travaillent ; les départements couleur, départements effets, etc. mais c’est vrai que sur un long métrage on est obligé d’avoir en général une grosse équipe, et donc les gens sont relativement spécialisés. C’est une spécialisation qui peut être quand même assez ouverte, vous pouvez travailler sur le design de personnages, du design de décors, ça peut être varié aussi quand même, mais le décor couleur ce sont des gens qui sont très bons en couleurs, et souvent on leur a préparé le décor dessiné, c’est d’autres spécialistes qui sont spécialistes de la perspective - du dessin en perspective.

ST: Donc il y a une grande division du travail.

FN: _Il peut y avoir une grande division du travail. Sachant que malgré tout, si on prend, l’exemple aux Gobelins, ce sont des équipes de 4 à 6 personnes, et l’intégralité des petits films de fin d’études se font à 5 à 6 personnes, donc ils ont chacun leur force, mais c’est quand même une équipe très réduite, et on peut parler de films d’Auteur.

ST: On parlait tout à l’heure avec Funan du fait que l’on pouvait traiter de tous les sujets en animations, et cette esthétique n’est pas, réservée, cantonnée au sujet pour enfants. La Planète Sauvage de René Laloux écrit avec Roland Topor, un film d’animation de science fiction, prix spécial du jury de Cannes en 1973, c’est un film qui montre que l’animation est un médium extrêmement plastique. Je ne sais pas si c’est un film qui vous a marqué ou que vous connaissez, autour de cette table, Frédéric Nagorny, forcément, qui est enseignant aux Gobelins ?

FN: C’est un film assez étonnant, en plus j’étais retourné le voir, il passait au Kinopanorama qui n’est pas très loin, à l’époque, et donc je l’ai vu en écran énorme cylindrique, et c’est fou parce que c’est un film en papier découpé et du coup, comme c’est en papier découpé, chaque personnage a un tas de texture sur lui, ce qu’on peut difficilement faire en animation 2D classique, comme c’est du papier découpé. Et du coup, la richesse de l’image apparaît vraiment en écran géant.

ST: Je ne sais pas si c’est lié, le département Animation des Gobelins est créé 2 ans après La Planète Sauvage. Je ne suis pas sûr qu’il y ait un lien de cause à effet.

FN: Non, l’origine vient pas de là, c’est les entreprises de l’époque. L’animation se développait un peu et donc il y avait besoin de gens formés à l’animation, et il n’y avait pas vraiment de formation spécifique, et donc ils se sont adressé à la Chambre de Commerce qui a monté un département test, pour former des dessinateurs d’animation, à l’époque ça s’appelait dessinateurs d’animation. Et les gens sortaient plutôt comme assistants animateurs, à l’époque, pour pouvoir se roder après. Et la formation était plus courte, actuellement on est sur 4 ans, mais à l’époque c’était des formations de 2 ans.

ST: Et longtemps Gobelins a été un peu seul en France. Maintenant, il y a des nombreuses écoles.

FN: Oui, les écoles se sont vraiment développées dans les années 90-2000, et bien simplement parce que le marché s’est ouvert. En fait c’est suite au Plan Image dans les années 80, Jack Lang a investi..

ST: Il y a une politique volontariste.

FN: _..a investi vraiment dans le développement des studios, création de studio, création de logiciels d’animation pour essayer d’aller plus vite et d’être plus efficace au niveau de la mise en couleur. Et puis des aides de la part du CNC, au niveau des productions. Il y a beaucoup de séries télé qui se sont développées à ce moment là, de studios qui se sont créés, et dans la foulée il fallait alimenter les studios, donc les écoles, petit à petit, voilà à la fin des années 90, vous avez la création d’écoles, ailleurs, spécifiques, mais c’est vrai que les Gobelins c’est longtemps restés, peut-être, depuis ses débuts jusqu’à mi-90 on va dire.

ST: Et toujours dans le tiercé de tête, c’est peut-être une des écoles mondialement reconnues.

FN: Oui, la formation est assez équilibrée. C’est une formation pointue quand même. Il y a beaucoup de professionnels en fait qui viennent et qui sont des formateurs qui viennent, donc ils enseignent les techniques pratiquées dans le studio qu’ils connaissent, qu’ils pratiquent tous les jours, donc ça aide beaucoup à avoir une formation de bon niveau, et puis le cursus est solide.

ST: Denis Do, est-ce qu’il faut être bon en dessin pour rentrer aux Gobelins ?

DD: _Il faut l’être oui. Je pense que le dessin ça doit être, ça ne doit plus être un handicap justement. On doit savoir, ça doit être plus une force, qu’un handicap. Donc, moi par ailleurs, j’avais surtout tenté les Gobelins par challenge vis à vis du dessin, parce que l’animation en soi, c’était pas le.

ST: C’était pas ce qui vous tentait le plus ?

DD: _Non je connaissais rien de l’animation. Tous les départements qu’on mentionne, tout ça, qui existe dans les métiers, les différents métiers qui constituent la base pour pouvoir fabriquer un film ou une série, je ne connaissais rien de tout ça. Je regardais même très peu d’animation en fait.

ST: Mais vous dessiniez ?

DD: _Oui je dessinais, mais le dessin et l’animation sont liés, mais c’est pas fondamental pour tout le monde non plus. Donc j’ai découvert l’animation. Je me rappelle l’un des premiers exercices de layout, je ne savais pas ce que c’était.

ST: Alors c’est quoi le layout ?

DD: Alors comment le définir ? Fred, tu le maîtrises ?

FN: _C’est le département le plus difficile à définir, parce qu’en fait on le voit pas à l’écran, on voit le travail de l’animateur, du cleaner. Les dessins sont à l’écran. En fait le layout non, c’est la préparation des plans. Quand on fait le storyboard, un peu comme une bande dessinée, c’est pas une bande dessinée mais ça y ressemble quand même, et donc à un moment donné il faut agrandir ces petites cases qui sont sommaires pour les mettre au format de travail de l’animateur.

ST: Là ça se rapprocherait plus du spectacle vivant. C’est de la scénographie.

FN: _Absolument. Ça correspond à du cadrage, la mise en scène. Donc on agrandit la case de storyboard au format définitif de travail.

ST: Et c’est un concours, vous disiez Denis Do, c’était un challenge le concours d’entrée aux Gobelins est très très sélectif. Je crois qu’il y a 1 candidat sur 20 qui intègre, est-ce que c’est ça ?

FN: _Il y a 600 candidats par an, il y a 29-30 places, donc on est dans ces rapports là, oui.

ST: Et une fois qu’on est étudiant aux Gobelins, et à fortiori diplômé, là on est sûr de trouver du travail.

FN: À priori ils travaillent oui, tous, normalement. C’est un secteur un peu particulier en France en tout cas, c’est le secteur de l’intermittence du spectacle. Vous travaillez, vous avez un contrat sur une production, tout dépend de la production, si la production est très longue, si c’est un long métrage vous pouvez avoir un contrat de 6 mois par exemple, si c’est une pub vous risquez d’avoir un contrat d’un mois, parce qu’il faut la livrer vite. Les gens travaillent tous, sachant qu’ils ont des périodes de creux entre les productions. Mais l’idée c’est d’avoir travaillé le plus possible sur des productions variées.

DD: C’est complètement pertinent de parler de l’intermittence, justement parce qu’on peut pas parler d’excellence,tout ça, d’une filière d’excellence, constamment parler des écoles, constamment parler de succès, en terme de chiffres tout ça, et ne jamais poser de question aux artistes, parce que là aujourd’hui, j’ai la chance d’être là de parler avec vous, d’échanger, mais je suis entre guillemets à la tête de mon film, mais en bas, à côté - j’aime pas dire en bas - autour de moi, il y avait moultes artistes, et c’est le cas dans plein de productions, alors de la série au long métrage, et il faut leur poser la question. Ils vont vous dire que c’est pas rose tous les jours, parce que quand on cogne, quand l’État cogne sur le statut - c’est pas le bon terme - mais sur le régime de l’intermittence, ça impacte cette filière aussi, ça nous impacte. On voit des conditions se détériorer. Et la hausse du nombre de productions, la hausse du nombre de sociétés de productions également, ça ne fait pas augmenter les salaires du tout, au contraire, bien au contraire.

ST: Oui, donc quand on parle d’un secteur qui recrute, des postes qui sont pas pourvus, c’est sans doute vrai, mais ce que vous dites Dennis Do, c’est pas forcément rose. On ne fait pas de pont d’or.

DD: _Je vais vous donner le cas de mon film. Là aujourd’hui, c’est actuellement sur la réalité du film dans son exploitation, bon déjà, c’est pas très rose tout ça, mais on va pas forcément en parler. Ce que je veux dire c’est que derrière tout ça, on est très contents effectivement d’avoir des prix que le film se remarque, mais la réalité de la fabrication du film, c’est que en terme de partenaires, on a eu le minimum. C’est à dire que les partenaires traditionnels, les chaînes télé, ont pas voulu du film, tout les France TV, tout ça.

ST: Ils ont eu peur ?

DD: Ils ont eu peur. Moi je croyais que le but de leur implication c’était de soutenir le cinéma. C’est pas forcément le cas à mes yeux du coup. Donc ils ont eu peur. Il y a beaucoup de distributeurs qui ont eu peur aussi. Moi je considère que les artistes français sont les meilleurs du monde. Il y a je pense que beaucoup de studios dans le monde qui le considèrent, le pensent aussi, c’est pour ça qu’ils viennent chez nous. En revanche on peut pas avoir les meilleurs, et ne pas offrir aux meilleurs ce qu’il y a de meilleur, simplement. On peut pas faire des restrictions, se servir de nous parfois comme leviers pour balancer financièrement certaines décisions. Je veux dire, quand par exemple, vous avez les allemands qui vendent leur voiture, ils les vendent pas moins cher, ils les vendent le plus cher possible, parce qu’ils savent qu’ils sont les meilleurs, en tout cas ils veulent le faire croire. Et nous on l’est, et donc il faut que des choses derrière suivent, simplement.

ST: Justement Clémence Bragard, je sais que c’est connexe, mais enfin c’est sans doute lié, vous me disiez que l’AFCA comptait ouvrir un atelier pendant le festival de Cannes pour sensibiliser les partenaires à l’animation, à l’utilisation de l’animation notamment dans des films destinés à un public plus adulte.

CB: Oui, alors c’est vrai que on s’éloigne un peu de ce que vient de dire Denis. C’est lié, l’AFCA s’associe à CITIA qui est la structure organisatrice du Festival International du Film d’Animation à Annecy, pour une action qui aura lieu le 19 mai à Cannes, qui vise à toucher les exploitants. Là, l’idée à travers une action, telle que celle qu’on va mener - qui n’est pas un atelier, mais une table ronde et une présentation de projet en cours, de projet de long métrage, adulte, en cours de développement - c’est de sensibiliser les exploitants à ce type de contenu, sachant que les projets que l’on présentera et les études de cas seront en majorité des projets français, où on a envie de montrer quel niveau de qualité on peut attendre d’un film d’animation pour adulte produit essentiellement en France. En fait on va mener finalement une action de pédagogie, parce qu’on se rend compte que le réseau de l’animation, le microcosme des professionnels travaillant dans l’animation en France, est sensible à ces problématiques qui sont rencontrés par les auteurs, par les producteurs, qui portent des projets. Mais finalement la cible de ces projets là, donc le public, mais qui passe après les exploitants, a besoin d’être sensibilisé, a besoin d’une médiation en fait, sur ce type de contenu proposé.

DD: Je crois qu’il y a vraiment un clivage entre les auteurs les autrices et le public en fait. Il y a bien entendu les exploitants qui sont en plein milieu, qui du coup sont déterminants, mais qui malheureusement, je trouve, certains ne savent pas comment travailler un film en fait. Par exemple la notion de films d’animation adulte, je pense que c’est une notion qui fait peur. C’est une notion qui prête à beaucoup de confusion. Le même film tourné en prise de vue réelle n’aurait pas eu, enfin ils n’auraient pas eu tout ce charrabiat, tout ça autour. _Quand un film à la Palme d’Or, a priori, ça marche bien en terme d’exploitation. Quand un film fait en animation un prix au Festival d’Annecy, et j’aime pas me vanter sur ça, j’aime pas que le film prenne de l’ampleur grâce à ça, mais a priori le prix

ST: C’est censé servir à ça.

DD: _A priori le prix Cristal du Festival d’Annecy, du long-métrage, c’est quand même l’un des prix les plus importants du monde, mais quand derrière ça on a aucun Pathé, aucun UGC, aucun, et les MK2 c’est…

ST: _Parce que Funan n’est pas distribué, voilà, ni dans les Pathé, ni dans les UGC.

DD: Et MK2 c’est risible. Il y’a un MK2 à côté de chez moi, et j’habite dans le 19e arrondissement. Je me rappelle, il y a quelques années avant le film, on n’avait pas encore commencé le film, je marchais avec ma compagne je lui disais “tu vois, le MK2 Quai de Seine et le MK2 Quai de Loire ; le Quai de Seine ils sont plus, voilà, films d’auteur que Quai de Loire, c’est plus gros films américains, tout ça.” Et bien qu’est-ce qui se passe, Funan passe au MK2 Quai de Loire, c’est une aberration pour moi. L’affiche est exposée à moitié, le film partage la salle avec un autre film, on est diffusé à des horaires d’enfants … Qu’est-ce que c’est que ce travail. Je crois que c’est pas peut dire que ces exploitants-là tuent le film, en fait. On est en train de… le film est juste en train de mourir simplement. Et évidemment, moi j’ai un lien très particulier avec ce film au-delà de l’aspect personnel. Ce qui fait beaucoup de mal c’est quand on voit l’implication de tout le monde derrière, qu’on a fait tout ça avec beaucoup de sincérité, avec très peu de moyens, que ce travail, mine de rien, a été reconnu par plusieurs festivals, beaucoup de prix du public, ça veut dire qu’il y a un lien qui peut se créer entre ce film et l’audience, en fait. Mais que les exploitants, certains exploitants, refusent de faire l’intermédiaire, parce que, je sais pas pourquoi, ils peuvent pas parler à leur place, mais c’est déplorable. Là typiquement, en plus, on parle d’un film européen, français, en plus. Je demande pas ce qu’il y ait une préférence, mais voilà, c’est dommage.

FN: Oui, c’est vrai, mais il faut voir aussi que l’animation, ça s’amorti dans la durée. C’est-à-dire que ce film-là, Funan va avoir un - comment dire - un succès, je parle vraiment de succès, dans la durée, c’est une certitude.

DD: Je sais, en fait, tu dois certainement parler de certains dispositifs comme collège et lycée.

FN: Oui, etc.

DD: C’est formidable, ce genre de dispositif.

FN: Alors, ça permet pas forcément de financer. Je comprends bien qu’au niveau des recettes, ça permet difficilement de financer le film suivant, etc. par rapport au…

ST: À l’économie.

FN: Au secteur économique, c’est évident, mais c’est un film qui se…

DD: Je sais pas si en France, on arrive à faire des films pour financer d’autres films.

ST: _Funan, juste le budget, c’est quoi un budget pour un film ?

DD: C’est autour de 4,6 millions. Alors, par rapport à de la prise de vu réel, effectivement, ça sonne comme beaucoup. Mais tout à l’heure, justement, on se le disait, ça met du temps à fabriquer.

ST: Et il y a beaucoup, beaucoup de personnes qui interviennent, beaucoup d’artistes.

DD: Exactement.

FN: Oui, ce qu’on peut dire aussi, c’est que pour aller un peu dans le sens de ce qu’on vient de dire, c’est que c’est le secteur de l’animation qui rapporte le plus d’argent à la France au niveau des ventes, devant la prise de vue réelle, devant les documentaires, devant, mais de beaucoup quoi. Donc, il faut imaginer que ce secteur, en fait, il est… financièrement, il est exceptionnel.

ST: Il est plus que rentable ?

FN: Ah bah oui, plus que rentable.

ST: Or, les artistes sont pas rémunérés à la hauteur.

FN: Voilà, ce qu’on peut conclure, c’est assez étonnant quand même. Il y a une sorte de paradoxe, c’est comme si peut-être le secteur ou la production ne s’était pas mis à niveau de l’enjeu commercial qu’il y a derrière, quoi. Si on peut dire.

CB: Mais finalement, l’ensemble des acteurs et parties prenantes sur des productions françaises en animation, pâtissent - enfin, c’est un cercle vicieux - pâtissent elles-mêmes du manque d’investissement. Et c’est vrai que si on essayait d’imaginer des pistes de réflexion pour que le financement se fasse, enfin, que les personnes investies, financièrement prennent des risques, en investissant un peu plus, et où on puisse arriver à un budget de 7 millions sur un film comme Funan, ça permettrait aussi d’assurer en fait sa viabilité, ensuite, économique, et en France et à l’étranger.

FN: Oui, oui.

CB: C’est pas le cas.

FN: Actuellement, c’est vrai qu’on met dans…

DD: Après Funan, à l’international, c’est quand même particulier parce que ça traite d’un sujet assez spécifique et il y a peut-être certains pays qui auraient pu être intéressants commercialement parlant, mais qui ne passeront pas le film, en fait.

ST: Comme ? La Chine ?

DD: Par exemple, je ne vois pas “Funan” passer en Chine, oui. Même si j’aurais personnellement adoré. Mais voilà… Tant pis.

FN: Enfin, ça fait aussi partie du cinéma pour adultes, quand même. Ce sont des films… En France, on a aussi ça. Enfin, on a fait Persepolis. Vous voyez ce que je veux dire ?

ST: Oui, c’est ça.

FN: C’est des sujets forts, quand même.

DD: Après, c’est important de rappeler aussi Persepolis ou “Valse avec Bachir”, ce sont des films qui sont sortis à une autre époque.

FN: Oui, c’est vrai.

DD: À une autre époque où il y avait moins de films par semaine, tout ça.

FN: Oui, absolument.

DD: Et là, c’est très dur. J’espère que les films qui arrivent dans l’année, qui sont en train de se faire, notamment Calamity de Rémi Chayé, sur lequel j’ai eu la chance de travailler, j’espère que ces films vont pouvoir cartonner. Moi, j’attends vivement le jour où justement, l’animation sera… va arrêter d’être une niche, en réalité.

ST: Et qu’on en aura de nouveau, parce que c’est déjà arrivé, des films d’animation, peut-être, en compétition au Festival de Cannes.

ST: Merci à tous les trois, Clémence Bragard, Frédéric Nagorny et Denis Do. Funan, je le rappelle, il est encore actuellement sur les écrans français. Le Festival national du film d’animation se tiendra à Rennes du 24 au 28 avril prochain, celui d’Annecy du 10 au 15 juin. “Tous les cinémas du monde, c’est fini pour aujourd’hui”, au micro Sophie Torlotin, à la réalisation Fanny Renard. On se retrouve samedi prochain, même heure, même cinéma, pour une émission consacrée à deux films de l’Ontario, “La flore”, une aventure en quatre parties et plus de 14 heures du cinéaste argentin Mariano Linas et “M”, un documentaire signé Yoland Zoberman. D’ici-là, bonne semaine à tous.

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