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Histoires des formations en cinéma d’animation - INHA Paris 2013

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Sophie Gallo, enseignante au DMA cinéma d’animation du lycée Descartes de Cournon a réalisé la captation audio du colloque INHA 2013.

L’intervention de Fred Nagorny Histoires des formations en cinéma d’animation peut être écoutée ci-dessous, avec la transcription.

L’ensemble des interventations enregistrées et rendues publiques sont disponible en ligne, sur archive.org uplodées par Marie Pruvost.

Site web du colloque : cinemasdanimations.wordpress.com

Transcription de l’intervention : Histoires des formations en cinéma d’animation

Médiateur: Donc j’aimerais passer maintenant la parole à Frédéric Nagorny des Gobelins.

Fred Nagorny: Bonjour, je vais vous parler des Gobelins, et probablement une forme de formation un petit peu étendue puisque j’ai eu l’occasion d’intervenir à l’université de Marne-la-Vallée également et aussi dans des formations pour des sociétés privées, ces formations sont liées à l’image de synthèse et à l’animation. Mon propos concerne l’évolution de la formation et particulièrement avec des exemples de ce qui concerne les Gobelins. L’évolution des formations de manière générale, je pense, suit l’évolution du milieu professionnel.

Le milieu professionnel évolue et la chose flagrante, c’est la modification des outils. En fait, on forme les gens par rapport aux outils qu’ils vont être amenés à utiliser. On a eu une évolution des outils numériques, mais également des outils analogiques, sur une période d’une trentaine d’années, à peu près. Et c’est une période qui a complètement bouleversé la façon de faire de l’animation.

Justement, un des problèmes de la formation consiste à savoir ce qu’on va garder comme éléments de base qui sont communs en 2D, 3D, analogique et numérique, pour faire une animation correcte, de manière indépendante des outils. Et ensuite, il y a une adaptation du métier aux outils. Il y a d’abord eu des outils analogiques qui ont été développés petit à petit.

Au niveau des grands titres dans les années 30, des caméras multiplanes pour donner une profondeur, qui était analogique à l’époque et qui fonctionnaient remarquablement. Il y a eu également des développements sur une forme de numérisation de la trace gouache, par exemple. Alors la gouache, non, mais la trace, oui. Avec les développements des photocopieurs, et à nouveau, c’était des fonctionnements analogiques.

L’utilisation de la trace en photocopieur (Xeroxing), c’était développé dans les années 50-55. Le film révélateur de ce point de vue là, ce qui concerne le long métrage, grand public on va dire, c’est “Les 101 Dalmatiens”, qui est un petit court-métrage puis long-métrage expérimental. On voit bien que le film a été choisi pour ça, parce qu’on avait un photocopieur et qu’on pouvait multiplier des chiennes à la photocopie.

Mais malgré tout, après ça, c’est la photocopie qui s’est imposée et il n’y a pas eu de retour à la trace gouache, à la trace manuelle couleur. Donc ça veut dire que dès qu’un outil permet de gagner du temps, il s’impose et on ne revient pas en arrière ; dans le secteur industriel, bien sûr. Là encore une fois, dans le secteur d’auteur, c’est complètement différent. On est libre et on peut mener sa recherche comme on l’entend et c’est un secteur évidemment passionnant.

Mais en ce qui concerne l’information, la plupart des écoles d’art appliqué sont tenues de garantir une forme d’adaptabilité à l’emploi de ces étudiants. Et donc évidemment les écoles s’adaptent à la formation par rapport aux outils industriels sur le marché le plus possible. Mais il est assez difficile de suivre, parce que les écoles n’ont pas les moyens des entreprises qui s’industrialisent. Donc elles ont souvent un temps de retard par rapport à l’acquisition d’outils numériques._

Dans les années 80, l’ordinateur a fait son apparition mais de manière comme une assistance à certaines tâches analogiques.
Par exemple, on a eu une informatisation des bancs titres avec des moteurs qui permettaient de gagner du temps, surtout pour les mouvements de caméras essentiellement. Donc c’était des petits logiciels dédiés pour avoir une qualité de mouvement de caméras très rapidement. Il faut voir qu’auparavant les mouvements de caméras étaient calculés à la main avec des systèmes géométriques et au pantographe liés au banc titre. Ce qui parait incroyable aujourd’hui.

Dans un deuxième temps, il y a eu l’apparition du numérique dans les années 80 et début 90. C’est une apparition qui est assez étrange puisque il n’y avait pas de compatibilité possible entre les données. Ce qui fait que les films se terminaient toujours en analogique pour avoir un support fiable. On était en 35mm, en général on sortait en 36mm.

À la fin des années 90, on a pu échanger correctement des données assez facilement. Et là, on a pu faire créer des passerelles entre différents logiciels. Aujourd’hui, on a des logiciels qui intègrent l’ensemble de la chaîne de fabrication de manière industrielle, que ce soit en 2D ou en 3D. Mais on a une possibilité d’ouverture. Ces logiciels peuvent s’échanger des données, on peut récupérer des éléments, des caches, des masques d’un logiciel à l’autre, que ce soit en 2D ou en 3D, pour faire une sorte de compositing global qui est en gros du mélange d’images.

Donc finalement, on a récupéré une souplesse théative assez extraordinaire aujourd’hui en numérique, puisqu’on n’avait pas avant. Ce qui permet probablement à des auteurs de pouvoir faire un peu ce qu’ils veulent, d’avoir des possibilités assez extraordinaires grâce au numérique aujourd’hui, en même temps qu’avec l’analogique.

C’est une véritable évolution étonnante sur 20, 30 ans, où la mise en place d’outils virtuels arrive à donner une richesse théative aussi grande, voire plus grande dans certains cas que l’analogie pure en technique traditionnelle.

On oublie aussi dire que le numérique s’est imposé partout, et il a commencé avec beaucoup plus d’avance sur le son que sur l’image. Maintenant on est à peu près équivalent, mais effectivement on l’utilise couramment pour faire les panneaux de son, toutes les étapes de fabrication utilisent maintenant des logiciels. On est dans ce schéma.

Dans les années 90, début des années 90, on a vu apparaître un phénomène de sous-traitance avec des problèmes de main-d’œuvre.

En fait, la sous-traitance a contraint à encourager les développements de logiciels. L’idée était de dire qu’on sous-traite pour des problèmes de coups de main-d’œuvre, on était essentiellement en analogique, donc on sous-traitait parce que les coûts étaient trop élevés en France, on trouvait des gens avec des niveaux de salaire beaucoup plus bas, et donc la sous-traitance est apparue de manière vraiment massive. En 90, c’était 90-95, tous les studios sous-traitaient en fait.

Et évidemment les développements de logiciels, qu’ils soient 2D ou 3D, sont effectués à ce moment-là. L’idée de l’époque était de dire que grâce aux logiciels, on va pouvoir avoir des coûts inférieurs et faire face à la concurrence des loyers au niveau des salaires. Et en fait, évidemment, quand on a fabriqué un logiciel, il faut qu’on le vende. On ne peut pas limiter ces temps de logiciels à un territoire qu’on le vend, mais également aux pays sous-traitants.

Quand les pays sous-traitants s’en sont emparés, comme tout le monde, et puis ils ont eu des coûts, ils ont eu une productivité plus grande évidemment, et donc les coûts ont pu baisser davantage. Ce qui évidemment excluait la possibilité ici de conserver une grosse partie de la fabrication.

Cette partie de la fabrication est assez intéressante en particulier en 2D parce que c’est la plus grosse partie du budget si vous voulez. Si vous voulez faire une animation de qualité, vous avez passé 60% de votre budget sur l’animation. Et alors le problème c’est que c’est souvent la partie la plus qualitative qui apporte le plus de qualité pour le public.

Donc on a gardé que la partie avec le moins de personnel. On a gardé les décors, les storyboards, la conception de départ, et en gros l’animation était partie ailleurs, dans des pays qui ont d’autres cultures. Une autre culture des codes d’expression du mouvement, et donc on s’est retrouvé avec une animation qui pouvait avoir une bonne conception de départ et une animation de qualité moindre, difficile à exporter.

À un temps, le développement de la 3D en animation a fait que certains animateurs se sont réfugiés, voyant la sous-traitance en 2D, dans la 3D. Ce qui est mon cas. En fait, ce n’était pas vraiment un refuge parce que la 3D m’intéressait énormément. Et vraiment c’était une période assez extraordinaire avec des développements incroyables, avec des échanges formidables, inimaginables, avec des conférences passionnantes.

_Et en fait, finalement, la 3D aussi finit par être sous-traitée comme le reste. Il n’y a pas de raison.

Donc aujourd’hui, on a quand même un problème actuellement. En ce qui concerne la formation, on doit former des étudiants aptes à répondre aux besoins professionnels, sachant que les besoins professionnels se limitent dans nos contrées, et se limitent beaucoup dans nos contrées, aux étapes de pré-production C’est-à-dire à la conception de départ, au design, aux créations d’écor, d’ambiance, les bibliographies d’origine, les storyboards aussi.

Et puis, donc c’est ce qu’on trouve beaucoup ici. Ponctuellement, il y a eu un développement quand même des longs-métrages qui s’est effectué dans les années 2000, en particulier grâce à certains films comme Kirikou et d’autres qui ont eu beaucoup de succès. Et effectivement, le développement de longs-métrages en grand nombre permet d’avoir, de conserver maintenant, d’avoir une sorte de retour un peu de fabrication ici. Mais souvent, les productions sont relativement morcelés et éparses dans le temps.

Il est évident qu’à l’étranger, à partir du moment où il y a de gros moyens, ou pareil, je pense aux États-Unis évidemment, mais pas seulement. À Londres, les grosses boîtes de post-production ont besoin de talent à un niveau élevé en animation. Donc effectivement, les écoles doivent être capables de former des gens avec un niveau élevé en ce qui concerne ce savoir-faire. Certains d’entre eux partent aux États-Unis, d’autres partent, s’exportent effectivement dans les Hapsas, ça peut être à Londres.

Et actuellement, il y a une tendance chez les étudiants à apprendre le japonais. Il y a une grosse tendance qui existe à apprendre le japonais pour aller travailler au Japon sur des séries japonaises, qu’elles soient 2D, d’ailleurs, ou 3D, ou mélangées, effectivement, mais les techniques sont mélangées. Donc on a ces trois points d’appui, en gros, l’Europe avec la pré-production, le Japon parce qu’il y a un attrait au niveau de la créativité qui est très tourné vers un public adulte, en fait, vers une éthique un peu adulte, et puis l’épée anglo-saxon qui a une tradition de l’animation plutôt orientée vers le cartoon, même quand il s’agit de films avec des éléments un peu réalistes, on est quand même franchement dominante cartoon.

Alors oui, c’est un bon pour le Japon, c’était un peu étonnant, j’en dis deux mots: en fait, à la fin des années 80 et 90, il y a eu en France des achats massifs de séries-télé japonaises, en grosse quantité, il y a eu des séries sur un tas de choses, des séries sur le basket, sur le football, sur les. etc.. Et donc, il y a toute une génération d’enfants qui ont été élevés avec ça, à la télé._ Alors c’est très étonnant, parce qu’aux Gobelins, par exemple, dans les dossiers d’entrant, anciennement il y avait des dossiers d’entrant qui étaient très orientés “Disney”, parce qu’ils avaient été joués avec Disney, donc ils faisaient des dossiers très semi-réalistes, cartoon, quoi, on va dire, un peu à la Disney, et puis petit à petit, on a eu des dossiers orientés “mangas”. C’est étonnant.

Actuellement, étonnamment, c’est peut-être lié au succès des films qui ont été produits en France dernièrement, et peut-être aussi au succès de l’école, on a des dossiers “Gobelins” !

C’est assez curieux, parce que le web permet de s’échanger sur les blogs, des notions graphiques, et on se retrouve effectivement avec une sorte de style qui existe, alors qui est très varié, qui est très graphique, qui est très très original par rapport au style cartoon traditionnel, très curieux.

En ce qui concerne l’apport dans la vie professionnelle, des écoles, des stages se sont imposés. Les étudiants ont une tendance à faire beaucoup de stages. Ils font des stages qui sont en fait, je pense, plus que professionnels, puisqu’en général, on garde leur production dans les films, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans. Donc, ça veut dire que le niveau est bon en fait, les étudiants quand ils sont en stage, et qu’ils sont pas encore professionnels.

L’apport également, c’est que par rapport à la vie professionnelle, et bien, on a vu apparaître énormément de films d’étudiants. Curieusement, la profession ayant moins de moyens, probablement et d’investissement, on voit bien que les coûts ont baissé, les investissements sont moins importants. Donc, effectivement, les courts-métrages sont difficiles à financer, puis de toute façon, ils ne sont pas rentables, donc, a priori, on en fait plus.
Et le résultat, qui est-ce qui peut faire des films, qui a du temps, sans contrainte d’argent, et bien c’est évidemment les étudiants dans les écoles.

Alors, les écoles sont engouffrées dans le film d’étudiants. Toutes les écoles font des films d’étudiants. Et les festivals les reçoivent et grandissent. Il y a des catégories spéciales avec des films étudiants qui sont de très bonne qualité maintenant.

Ça va de pair avec le fait qu’il y ait une sorte de démocratisation des moyens numériques. Les moyens numériques, aujourd’hui, ça ne coûte pas grand-chose, avoir un PC, puis pouvoir travailler avec un petit logiciel, par rapport à ce que c’était dans les années 90, où il fallait des licences chères, etc. Et donc, d’ailleurs, tous les étudiants eux-mêmes ont des outils chez eux, ils ont les outils.

Donc les étudiants peuvent travailler sur des films d’étudiants qui, évidemment, vu le temps d’étude, ils peuvent atteindre un très haut niveau.

Alors, il s’agit de leur donner une formation relativement polyvalente dans les méthodes de travail, les méthodes de travail d’animation pure, les bases et les outils numériques. Le travail sur la formation et les choix qui ont été faits aux Gobelins petit à petit, débutent à l’origine d’une école traditionnelle, formant des assistants animateurs ; puis ensuite, c’est devenu une école qui formait aux étapes plus créatives, on va dire, en amont, on a étendu la formation au storyboard et à la réalisation, et puis, avec l’arrivée du numérique, et des outils 2D sophistiqués, on a introduit des formations logicielles ; que ce soit en 2D, alors c’était surtout en 2D, évidemment, et en 3D.

Actuellement, on vient de modifier le programme (en 2013). À l’origine de l’école on démarrait le cursus et la 3D était intégrée petit à petit dans le programme traditionnel 2D. Là avec la nouvelle maquette, on vient de démarrer le cursus cette année (en 2013), avec dans l’idée de partager l’enseignement 50% en 2D et 50% en 3D, et donc de pouvoir mélanger les techniques sur les films d’étudiants de fin d’études.

C’est l’idée, évidemment, chaque exercice, du coup, est fait à la fois en 2D et en 3D. Alors d’abord en 2D, parce que, en 2D, évidemment, on part du dessin, l’école sélectionne sur le dessin, pour comprendre les principes d’animation, rien ne vaut le dessin, et une fois qu’on a compris ce qui se passe au niveau de la structure, en faisant les choses sur le papier, et bien, on peut, à ce moment-là, aborder les choses de manière volumique, en 3D, avec d’autres outils qui fonctionnent quand même vraiment différemment de la 2D. Il faut faire une transposition à chaque fois entre le savoir-faire 2D et la manière de fonctionner du logiciel 3D.

_Avec ce type de formation, une des questions c’est comment se fait-il qu’il y ait une telle attractivité internationale ?

J’ai une petite anecdote qui est assez étonnante. Il y a un producteur japonais qui est venu, qui a demandé à faire un voyage d’études, donc on l’a reçu dans l’école. Il vient de terminer son séjour là, et donc il a fait tout le début d’année pour voir comment on travaillait.

C’était assez curieux, il était prêt à être un producteur, il ne dessine pas très bien, mais il a quand même fait tous les exercices qui étaient proposés en première année, ce qui était assez incroyable. Alors je lui ai posé la question de savoir, en fait, ce qu’il recherchait.

Donc lui, il cherchait éventuellement à ouvrir une école, là-bas, à développer des formations, etc., avant qu’il ne vienne voir un peu comment on fait ici. En fait, sa préoccupation, c’est qu’il est très surpris que des étudiants, oui, que l’animation japonaise ait un tel succès, une telle notoriété dans le monde.

Il constate que l’animation japonaise a une notoriété dans le monde, c’est-à-dire que c’est vraiment en bonne presse, mais il constate que personne ne cherche à embaucher, à débaucher des animateurs japonais. Alors, il est un peu surpris de ça, et donc il voulait comprendre comment on fait ici pour fabriquer des étudiants qui sont embauchés à l’étranger et qui sont très prisés à l’étranger.

C’est-à-dire que, vous voyez, c’est complètement paradoxal, c’est une situation absolument incroyable où on est en train de dire qu’on est très fort pour fabriquer des bons professionnels, qu’on exporte !

Vous voyez, on pouvait se dire, bon, on va dans le domaine du cinéma, on essaie d’exporter notre cinéma, parce que c’est le cinéma qui fait de l’argent. Nous, on exporte nos étudiants et nos professionnels, vous voyez, c’est assez extraordinaire.

Et donc, par rapport à ça, en fait, j’espère qu’il a un peu compris la manière dont on travaille. Évidemment, on a essayé de développer également une école d’été il y a 6-7 ans, avec des sortes de master-class sur 10 jours qui ont assez bien marché au niveau international.

Effectivement, il y a un rayonnement de l’école qui fait que, avec ces éléments, les étudiants sont relativement prisés, et la qualité des films est assez bonne.

On peut peut-être mettre quelques vidéos. Donc, j’ai amené quelques éléments aux vidéos pour prendre des points de comparaison, si vous voulez, sur les évolutions de formation.

présentation des videos

Il y a un désir d’animation adulte. C’est visible dans la model-sheet. On s’éloigne de la représentation de l’enfant et on va vers l’adulte. En faite, l’animation permet à des situations d’adulte d’être dédramatisés par la poésie de l’animation. Il y a un glissement aussi vers un public plus adulte. On peut le voir dans l’évolution du character design. un public enfantin, mais qui s’intéresse à la tranche du dessus, aux collégiens. L’identité de chaque école d’animation s’est marquée. Et l’enseignement est différent dans chaque école.

Fred Nagorny, Novembre 2011.

Tags: animation 2d 3d talk training Gobelins history audio