Blog | Fred Nagorny


Lascars - l'humour en 3D - Public Sénat

Échange sur le plateau de Public Sénat entre Albert Pereira-Lazaro et Frédéric Nagorny à l’occasion de la sortie du long métrage d’animation français Lascars.

L’émission débute à 6 minutes 00. Durée : 20 minutes.

La sortie du film d’animation Lascars nous permet de revenir ce soir sur l’exceptionnelle réussite du cinéma d’animation français. Il n’est pas rare de voir de jeunes créateurs français partir travailler pour les grands studios d’Hollywood. Les productions françaises bénéficient aussi d’une reconnaissance internationale. Pierre Sled reçoit sur le plateau de Bouge la France Albert Pereira-Lazaro, réalisateur de Lascars et diplômé de l’École des Gobelins, et Frédéric Nagorny, Professeur d’animation de cette école qui est à ce jour la plus réputée en France.

Transcription de l’émission

Pierre Sled: Ils font sourire là-bas. Par leur périgrination de vacances, “Lascars” est né de l’imagination et du talent de prodige de l’animation. Ils sont ce soir sur le plateau de Bouges-de-la-France. Albert Pereira-Lazaro, le réalisateur des “Lascars”, et Frédéric Nagorny, il professe l’animation à l’École des Gobelins, à Paris. Bonsoir à tous les 2. Albert Pérala-Zaro est l’un des 2 réalisateurs. Vous êtes 2 là-dessus. Ça marche bien. On en est à plus de 250 000 entrées.

Albert Pérala-Zaro: C’est ça, à ce jour, à peu près. On va gentiment vers le million.

PS: On allait dire que c’est remarquable pour un film d’animation, mais c’est entrer dans les mœurs.

APZ: Ce qui n’est pas rentré dans les mœurs, c’est que pour une fois, on se retrouve avec un film sur un fond urbain. Ce n’est pas avec des animaux qui parlent. Ça, c’est pas trop encore entrer dans les mœurs. Le fait que l’animation, le dessin animé, ne soit pas uniquement pour les enfants, ça a un peu de mal à rentrer dans la tête des gens, mais on y arrive tout doucement.

PS: L’intérêt c’est qu’on n’a pas besoin d’assurer les acteurs. Ça, c’est pratique. Cela dit, il y a une distribution de voix phénoménale. Vous avez été cherché des acteurs, Vincent Cassell, Yann Kruger, Omar et Fred, Gilles Le Louch, etc. Pourquoi être allé chercher des stars ? Alors que, a priori, on s’en fiche que ce soit des stars, on ne les voit pas, ce sont juste leurs voix. Pourquoi chercher ces voix-là ?_

APZ: _La différence avec “Lascars”, c’est que ce n’est pas du doublage. C’est-à-dire que le film a été fait en 3 ans pour le fabriquer, et on les a enregistrés il y a 3 ans - 2 ans et demi. On n’a pas fait l’animation, sur des voix américaines, sur des comédiens américains, et ensuite, en leur demandant, ils ont essayé de se caler sur une performance qui a déjà été faite. Pour eux, c’était un challenge. C’était un des rares exemples en France et en Europe.

PS: Vous avez enregistré les voix avant, comme un feuilleton radio.

APZ: _Exactement. Ils avaient rien. On leur avait montré leur dessin. On a dit à Vincent Cassell, “Vous allez t’appeler Tony Merguez,”et puis, avec un gros menton et un bob sur la tête.”

PS: Ils étaient en studio, ils jouaient la comédie en studio, et vous avez mis ça en boîte, et vous avez commencé…

APZ: _C’est là que commence le gros du travail, la traversée du désert, pendant 2 ans et demi.

PS: Mais alors c’est quoi le boulot d’un réalisateur ? Il y a toute la partie apégraphique dans laquelle vous intervenez. Vous êtes déjà intervenu sur la façon de jouer. Un réalisateur dirige ses acteurs. Vous les avez dirigés oralement ?

APZ: _Oui, tout à fait. On a fait une fois qu’on s’est rencontrés, et que tous ont donné leur accord pour le film. Ils l’ont lu, ils ont fait des commentaires, on a fait des lectures, et ils ont fait des propositions. Pour les personnages féminins, “Lascars” c’est quand même un film écrit par un groupe de mecs. Donc, l’apport féminin a été précieux pour ajuster des choses, et pour qu’on ait des finesses auquelles nous, on n’aurait pas pensé. Une fois qu’on a fait ces lectures, lorsqu’on les a enregistrés, il y a de la direction de comédien. Il y a des choses qui vont, des choses qui ne vont pas. On fait des variantes. Les comédiens proposent.

PS: Le dessin, c’est trois ans ?

APZ: Oui. Tout à fait.

PS: Alors Frédéric Nagorny vous est professeur d’animation, entre autres, à l’école des Gobelins. On dit que vous êtes le pape de l’animation en France. Vous êtes prof dans cette école-là ? Vous Albert vous en sortez ?

Fred Nagorny: Oui, je l’ai eu comme élève. Absolument.

PS: _Et tout petit, il était déjà là.

Fred Nagorny: Oui, il était accro, oui.

PS: Vous avez vu le film ?

Fred Nagorny: Je l’ai pas vu. C’est incroyable. Je suis allé à Annecy. Je suis rentré un peu avant la présentation. J’ai vu les bandes annonces, je connaissais la série avant. Et on s’est croisés dans le laboratoire, à Éclair. On s’est croisés plusieurs fois.

APZ: Il va y aller le voir bientôt. Il va y aller le voir demain, je crois.

PS: _Pour les spectateurs lambda, l’animation, on appelle pas ça l’animation, on dit les dessins animés. On appelle ça les dessins animés. Pour les Français, c’est Walt Disney. J’imagine que tout a changé. Qu’est-ce qui a changé ?

FN: Oui, alors, si, ça a beaucoup changé. En réalité, les techniques se sont développées. Les outils numériques se sont développés en 2D et en 3D. L’animation dessinée est traitée numériquement aujourd’hui au niveau de la mise en couleur, le travail de tournage, en fait.

PS: Mais ça part d’un dessin, de dessinateurs, c’est graphique.

FN: Oui, bien sûr. Ce film-là a été dessiné à la main intégralement. Et c’est une des forces de l’animation. Le fait de dessiner permet une caricature, comme on le souhaite.

PS: C’est comment le processus ? On dessine, il y a un dessinateur qui fait un dessin. Et après, qu’est-ce que vous en faites ? Il en fait plusieurs ? Ou les machines le démultiplient ?

FN: Ah non, non, non. En 2D, non. En traditionnelle, on fait tous les dessins. C’est ça l’intérêt.

PS: Pour une minute de film, il faut 2 000 dessins ?

APZ: Oui. Jusqu’à 24 dessins pour une seconde d’animation. Ça, c’est le maximum.

PS: C’est ça qui fait la qualité ?

FN: Pas forcément.

APZ: Ce qui fait la qualité, c’est le talent du dessinateur, de l’animateur.

FN: C’est la qualité de mouvement qu’on va insuffler au dessin. Ce qui compte, c’est la qualité de mouvement. De quelle manière, l’artiste va choisir de caricaturer tel ou tel mouvement ? Quelle va être son interprétation ? C’est un travail artistique.

PS: Combien y a de dessinateur ?

APZ: _Si on compte tous les artistes, il y en a une… Je sais pas… C’est un petit film, Lascars. C’est gros et ça fait pas mal de bruit, mais ça reste une petite équipe.

PS: C’est un film qui est de 1h30.

APZ: _Oui, tout à fait. Nous, on s’en est sortis avec environ 80 dessinateurs.

PS: Ah oui, tout de même.

FN: C’est quand même des grosses équipes.

APZ: Si on compare à des standards américains, qui sont des productions 30 fois plus grosses, c’est effectivement…

FN: Oui, ça n’a rien à voir.

PS: Je vous repose la question. Votre boulot, c’est quoi, vous, le réalisateur ? Vous avez dessiné aussi ?

APZ: J’ai dessiné, j’ai fait du storyboard, des prédécoupages, et mon travail, c’est un boulot de chef d’orchestre ou chef des armées, puisque tout le monde a son rôle dans l’animation. Des gens sont spécialisés pour dessiner les personnages, d’autres pour dessiner les décors. Certains peuvent faire la couleur des personnages, d’autres la couleur des décors. C’est vraiment… l’armée. Chacun sait ce qu’il a à faire, et donc, nous, on s’assure que tout le monde va bien dans le même sens, qu’on est tous en train de faire le même film.

PS: Ce genre de film, d’animation, est en plein essor. Qu’est-ce qui s’est passé, pour que ça redevienne à la mode ?

FN: Ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu des succès, qui ont bien fonctionné depuis Kirikou

PS: Kirikou et la sorcière.

FN: Oui. On pense à Persepolis, par exemple, qui a vraiment bien fonctionné aussi. À chaque fois, ce qui est intéressant, c’est que ce sont des films qui se démarquent des standards habituels, puisqu’il y a maintenant une tradition un peu établie en France, on peut dire, de recherche graphique, à proprement parler, où on recherche des designs originaux.

PS: Ça vient de quoi, cette tradition ? Pourquoi on est fort ? Il parrait que l’État a beaucoup investi, aide beaucoup. C’est vrai ?

FN: Oui, oui, l’État aide, évidemment, mais je crois que c’est une tradition assez ancienne. Ça remonte au XIXe siècle. La caricature, on avait des dessinateurs incroyables, comme Daumier, qui sont des monuments, en fait. Et donc, il y a toute une tradition, même du dessin de presse, d’ailleurs. On est issu de ça.

APZ: La bande dessinée, aussi.

FN: La bande dessinée, énormément.

PS: Ces dessinateurs, ceux que vous avez utilisés, et d’autres sont tous des jeunes, parce que c’est une culture. La culture banlieue, il faut connaître. Il faut s’en imprégner pour arriver à la restituer en dessin.

APZ: Non, c’est juste tous d’excellents artistes. Il y a vraiment tout un…

PS: Ils ont entre quel âge et quel âge ?

APZ: Ils ont entre… Le plus jeune doit avoir 24 ans, et le plus vieux doit avoir pas loin de 50. Voilà. Et ils arrivent parce qu’ils ont cette ouverture d’esprit et le talent à se fonder, en fait. C’est-à-dire qu’une des spécificités de l’animation, c’est d’être capable de se fonder dans un style, de ne pas avoir de style et de pouvoir faire un film comme “Lascars”, mais d’être capable de faire autre chose d’extrêmement différent, sans qu’on voit sa patte, qui est juste le niveau artistique, mais sans qu’on se dise qu’il a dessiné. Il faut qu’il y ait une forme d’uniformisation. Tout le monde doit avoir l’humilité.

PS: Il faut qu’il y ait une cohésion. Il y a des chartes graphiques, en gros.

APZ: Exactement.

FN: C’est beaucoup lié à l’écriture, je crois, parce que c’est très écrit, au niveau des dialogues, comme il a eu lieu avant. L’artiste, lui, il a le son dans l’oreille.

PS: Il faut imaginer…

FN: Et oui. Et la caricature, il peut s’en donner à plein. Il y a vraiment un travail à la fois sur le design, le mouvement, qui donne une cohérence au film.

PS: Néanmoins, vous avez écrit, si il y a une scène, n’importe quel dialogue. Les acteurs, les personnages font quelque chose. C’est vous qui exprimez, qui leur dites, voilà, ils sont en train de faire ça, il faut le dessiner.

APZ: Exactement. Il y a plein d’étapes. On fait un storyboard, par exemple, où on va caler la mise en scène. On prend nos voix, et ensuite, on met les voix sur le storyboard. Ca s’appelle une animatique. Ca nous permet de voir, déjà, de commencer à faire une forme de montage avec des plans en noir et blanc, avec les voix. Après, fabriquer, faire le processus d’animation, c’est coûteux. On ne peut pas se permettre d’en animer 5 ou 6 heures pour en faire 1h30.

PS: Parlez-nous de cette école des Gobelins. Apparemment, ça fait un tabac, et même aux Etats-Unis, puisque les studios Dreamworks de Steven Spielberg, on en parlait, font des ponts d’or aux meilleurs qui sortent de cette école. Ça a l’air assez difficile. Il y a 800 candidats et 25 places.

FN: _Oui, c’est un peu ça. Actuellement, on tourne autour de 650.

PS: C’est normal que les 25 soient forts.

APZ: À l’entrée, on les sélectionne sur leur niveau de dessin. Il y a également leur compétence au niveau de… comment dire ? De l’analyse filmique. Il faut qu’ils aient un peu travaillé, mine de rien. Qu’ils aient pris du recul par rapport à l’image. En général, ils ont fait des écoles préparatoires.

PS: Ils sortent d’où ?

FN: Ils ont fait des écoles préparatoires. En dessin.

PS: En dessin, mais aussi en cinéma ?

FN: Certains ont fait des licences en cinéma. Ça arrive. On a un peu de tout. On peut avoir des architectes, c’est assez étonnant. Mais il faut qu’ils répondent à certains critères. En particulier que le dessin soit bon, quel que soit leur itinéraire.

PS: _Et ils ont quel âge ? Vous les prenez à quel âge ? Et ça dure combien de temps ?

FN: Il se trouve que le concours vient de se terminer pour l’année prochaine. Je crois qu’ils sont un peu en dessous de 20 ans. Ils ont 19,8 ans.

PS: Et j’imagine que sur les 800 il y en avait 90 % qui dessinaient très très bien.

FN: Ils dessinent. Ils dessinent. Non, non. Ils dessinent. Il y en a qui passent. C’est à dire en France, il y a un problème au niveau de l’enseignement du dessin. Le dessin est assez peu enseigné comme matière à l’école.

PS: C’est pas une matière prioritaire.

FN: C’est pas du tout. Donc évidemment ceux qui se présentent sont des passionnés de dessin. Ils ont forcément fait du dessin, mais ils ont appris par eux-mêmes. Il leur faut des écoles préparatoires pour atteindre un certain niveau. Ils ont fait deux ans d’école préparatoire avant de pouvoir être pris. La moyenne, c’est ça.

PS: Est-ce que ces jeunes, ils ont la culture du dessin, c’était votre cas, j’imagine, ils ont la culture du cinéma ? Est-ce qu’ils ont aussi la culture de l’univers de nos enfants, les PlayStations, les jeux vidéo ? Est-ce que ça joue ?

FN: Oui. Oui, ça joue. C’est normal.

APZ: Ils baignent dedans. C’est eux, les consommateurs.

PS: Par exemple, prenons vous Arthur. Vous êtes très jeune. Est-ce que c’est ça qui vous a donné envie de dessiner ? Quel a été l’apport des jeux vidéo pour vous faire aimer cette art graphique ?

APZ: C’est quand même des domaines très différents. La bande dessinée, l’animation, le jeu vidéo, même s’il y a des ponts, on va dire, l’aspect graphique qui rentre en jeu, c’est quand même des domaines très différents. Moi, ce qui m’avait plu dans l’animation, c’est quand je découvre, avec des petits films en Super 8, que j’ai vus, comment ça se faisait, que j’avais des dessins complètement déformés. Lorsqu’on regardait image par image, et une fois que ça tournait à vitesse normale, il y avait un mouvement qui était normal. Je ne comprends pas comment ça se faisait. Il y avait quelque chose de magique qui me fascinait. C’est mon premier contact que j’ai eu avec l’animation. Ça fait partie des choses qui m’ont marqué quand j’étais petit. Je me suis dit que je devais comprendre, que je devais arriver à faire ça moi aussi.

PS: Il y en a 25 qui sortent chaque année ?

FN: Oui, à peu près.

PS: Ils deviennent quoi, on parlait du chômage chez les jeunes, avec Jean-Louis Gombeau. Qu’est-ce qu’ils ont comme débouchés ?

FN: Eux, c’est un peu particulier. L’école est professionnalisante. Il faut voir qu’elle est financée en partie par les entreprises.

PS: Ils sont assurés de trouver du boulot derrière ?

FN: A priori, en fin de chaque année, il y a un jury, ce sont les entreprises qui viennent, qui mettent des notes aux élèves. Pour le passage dans l’année supérieure, on tient compte énormément de l’entreprise. Donc, c’est vrai qu’à la sortie, en fin de 3e année, le jury de 3e année, on a des entreprises aussi bien françaises que des entreprises anglaises.

PS: Et les Américains qui font des ponts d’or aux meilleurs, c’est une légende ?

FN: Je sais pas si c’est des ponts d’or. Ils sont débutants, mais les salaires sont assez élevés. Aux États-Unis. Mais ça, c’est les États-Unis.

PS: C’est quoi, les salaires d’un dessinateur ?

FN: J’ai pas les chiffres en tête.

PS: C’était du style 100 000 euros par an aux États-Unis pour les premières années ?

APZ et FN: Ouais, oui, ça peut…

PS: Bon, très bien. Pour toutes les raisons qu’on vous a expliquées, on vous recommande Lascars. Si vous n’êtes pas allés le voir, c’est une autre façon de regarder, de sentir et de vivre ce qui se passe en banlieue. On en parle souvent.

APZ: Sur le ton de la comédie.

PS: Et ce n’était pas un film pour les tout jeunes._

APZ: On recommande à partir de 8, 10 ans.

PS: Très bien. Merci beaucoup à tous les 2. On va se quitter maintenant.

Public Sénat - Bouge la France - 25/06/2009

Tags: animation 2d talk Gobelins tv